Province Législature Session Type de discours Date du discours Locuteur Fonction du locuteur Parti politique Québec 31e 3e Message inaugural 21 février 1978 M. René Lévesque Premier ministre PQ M. le Président, mesdames, messieurs les députés, je suis sûr que le Québec tout entier regrettera demain d'avoir manqué le numéro de choix que le député de Johnson, avec le vigoureux soutien du député de Laval, vient d'être obligé de donner, hélas! seulement dans ce très beau décor, mais en l'absence, jusqu'à nouvel ordre, des caméras. C'est avec un mélange de confiance et d'anxiété que l'Assemblée nationale et le gouvernement, comme sans doute tous les Québécois, ont vu arriver 1978. La plus totale des confiances en l'avenir d'abord, et je suis sûr que, là-dessus, nous serons tous du même avis, parce que nos richesses humaines aussi bien que matérielles et tout ce potentiel collectif qui est bien loin d'avoir fini de se découvrir, qui s'affirme un peu partout, placent le Québec et son peuple au premier rang de ceux qui sont faits pour triompher d'une période qui est tout de même universellement difficile, et difficile en premier lieu sur le plan économique. De là notre anxiété qui se situe donc dans le présent et dans le court terme où nous avons à vivre comme d'autres des problèmes aigus, qui sont douloureux pour bien des gens et dont il est impératif de chercher ensemble les solutions. Si j'osais avoir un thème à suggérer pour nos travaux, pour coiffer ce menu législatif qui est toujours un reflet très partiel de la complexité sans cesse croissante de la société, ce serait donc cette année quelque chose comme ce bon vieux dicton: Tous pour un et un pour tous. Évidement, avant qu'on me le dise de l'autre côté, je sais bien que ce serait illusoire. Mais il me semble qu'on peut certes affirmer, plus modestement, que nous devons tous avoir le même intérêt à faire de cette session de 1978 celle d'un élan parlementaire concret et productif devant lequel les Québécois auront plus que d'habitude, si possible, le sentiment de voir fonctionner à leur avantage une Assemblée qui mériterait vraiment de s'appeler nationale. Le premier grand souci qu'évidemment cela doit nous imposer, c'en est un qui rejoigne cette anxiété que nous inspire, à tous, la situation économique. Tous les experts s'accordent à dire que, si l'année 1978 pourrait être celle d'une certaine reprise, elle ne sera nulle part, probablement, une année mirobolante. Ce qui promet d'être singulièrement vrai pour le Canada et je répète pour le Canada tout entier. Car 1977 nous a quand même démontré que le Québec, en particulier au chapitre des investissements, fait meilleure figure ou, si l'on préfère, moins mauvaise figure que l'ensemble canadien, ce que confirment, en attendant les résultats définitifs, toutes les prévisions initiales et qui ont été révisées en cours d'année. On peut y voir au moins la preuve que rien n'a pu ébranler les bases solides, faites de ressources richement diversifiées, de compétence croissante et de stabilité fondamentale sur lesquelles repose la crédibilité de la société québécoise vis-à-vis d'elle-même comme vis-à-vis des autres. Cette crédibilité a résisté victorieusement à la période de flottement qui découle à chaque fois d'un changement de gouvernement, aussi bien qu'aux assauts, publics ou déguisés, d'adversaires farouches qui n'ont guère hésité sur le choix des moyens. Pour tâcher de sauver le fédéralisme, on a donc desservi et caricaturé le Québec tant qu'on a pu dans certains milieux. Je dis bien le Québec en même temps que le gouvernement qu'on combattait. Mais on n'a pas réussi à affoler le Québec et on n'y parviendra pas davantage à l'avenir. Notre maison collective est à l'épreuve des termites. Cela dit, cependant, nous sommes bien conscients de la gravité de la situation pour des dizaines de milliers des nôtres qui n'arrivent pas à trouver un emploi pour gagner leur vie. Le chômage qui sévit et qui affecte particulièrement les jeunes est aussi intolérable -- autant sinon plus -- sur le plan humain que sur le plan économique. C'est une bien mince consolation de savoir qu'à partir de niveaux traditionnellement plus élevés au Québec et dans les Maritimes, c'est-à-dire partout à l'est de l'Outaouais, ce chômage a suivi, depuis trois ans, très précisément la même courbe ascendante de l'Atlantique au Pacifique. Bien sûr, nous ne pouvons prétendre à nous seuls corriger cette trajectoire pancanadienne ni, encore moins, régler les problèmes des économies extérieures dont l'état de santé influe fatalement sur le nôtre, mais nous avons le devoir de tout faire pour enrayer ce cancer du sous-emploi qui mine tout autant le moral que le niveau de vie de ceux qui en sont les victimes. Or, ce devoir, il faut bien le souligner, il n'appartient pas seulement à l'État. Tous les autres "agents" importants de la vie économique en ont aussi leur part essentielle à remplir. Dès l'an dernier, d'ailleurs, le gouvernement les invitait à la première rencontre au sommet, comme on dit, qui ait jamais été organisée au Québec. Il en est sorti certains engagements de notre part que nous nous sommes efforcés de tenir sans, malheureusement, pouvoir encore les réaliser tous; mais celui qui sous-tendait tout le reste et que nous allons maintenir contre vents et marées et au-delà des divergences politiques, c'est l'engagement à poursuivre ce genre de consultation et à dégager, autant que faire se peut, ces zones d'intérêts convergents où non seulement la coopération est indiquée mais où, sans elle, il ne peut pas y avoir de solution. C'est la façon dont nous avons abordé l'an dernier, conjointement avec toutes les parties, les problèmes si longtemps négligés de nos vieux secteurs traditionnels menacés ainsi que l'érosion inquiétante qu'a subie sur les marchés l'industrie stratégique entre toutes des pâtes et papiers. C'est ainsi, cette année, que nous continuerons d'envisager les autres secteurs ainsi que la situation d'ensemble qui feront de nouveau l'objet de telles rencontres. L'importance de tout cela, d'ailleurs, est soulignée par le gouvernement par la création récente d'un secrétariat permanent qui verra désormais à la coordination aussi bien qu'au suivi des conférences. Et là-dessus, je dois insister également sur le fait que nous sommes tous, chacune et chacun d'entre nous, d'indiscutables agents économiques. Les transactions, si modestes soient-elles, que nous faisons continuellement, les achats sans nombre que nous effectuons jour après jour, tout cela, globalement, acquiert une signification économique déterminante. Après l'Hydro-Québec qui avait commencé dix ans auparavant, le gouvernement a défini à son tour, l'an dernier, une politique d'achats qui doit commander désormais ses propres comportements, bien sûr, et se propager au plus tôt dans ce vaste réseau des institutions municipales, sociales et scolaires qui vivent, elles aussi, à même les impôts des citoyens. Il n'est pas question de bannir ou de boycotter les produits de nos partenaires du dehors, à commencer, bien entendu, par ceux que nous ne saurions remplacer; et bien sur, des inter-relations permanentes, qui ne disparaîtront dans aucun contexte prévisible, nous incitent également à préférer la production canadienne à celle d'autres pays. Mais n'empêche que la charité bien ordonnée d'une société qui a la tête sur les épaules commence par elle-même. Chaque fois qu'on pense d'abord aux produits québécois, chaque fois qu'on l'exige, s'il est disponible et de bonne qualité, on contribue à maintenir ou à créer des emplois quelque part au Québec. Sur ce point, je me permets de faire appel spécialement à toutes et chacune des Québécoises, des femmes qui disposent dans l'ensemble d'environ les trois quarts des budgets familiaux et qui, par conséquent, peuvent et doivent se considérer comme responsables en toute première ligne de notre santé économique collective. Si je fais cet appel à nos concitoyennes, ce n'est pas seulement parce qu'elles le contrôlent ce budget, c'est aussi, je crois, parce que plus que nous, de l'autre moitié de la société, elles ont vraiment le sens du budget aussi. Si j'ai tenu à mettre ainsi l'accent sur l'importance primordiale de ces minimums vitaux de solidarité qui ne représentent, en définitive, qu'une sorte de bon sens élémentaire, ce n'est certes pas pour escamoter le rôle central et même fréquemment le rôle moteur que doivent pleinement assumer le Parlement et le gouvernement. Ce rôle, la situation nous ordonne présentement de le remplir en poussant sans cesse plus loin les limites de nos capacités et de nos énergies et le rendement des fonds publics dont nous avons la responsabilité. Le gouvernement commencera donc par accélérer la réalisation du programme de stimulation de l'emploi qui est en marche depuis novembre dernier et qu'on doit maintenir jusqu'à, au moins, la fin de mars de 1979 en sautant sur chaque bonne occasion qui se présentera le long du chemin pour le renforcer encore. Avec le premier programme que nous avions lancé, celui du printemps dernier et qui était à la fois mesure d'urgence et première expérience, ce sont quelque $330 millions qu'on a pu extraire ainsi de budgets qui étaient terriblement serrés pour des objectifs économiques aussi pressants que le soutien au textile, au vêtement, à la chaussure et au meuble, l'encouragement à l'expansion de nos entreprises qui font de l'innovation, la création d'emplois durables autant que possible, à partir d'initiatives communautaires dans toutes les régions, sans compter, évidemment, les montants substantiels consacrés directement à des travaux publics de tout genre dont nous tâchons de répartir le plus largement possible l'impact. C'est dans cette même optique de soutien de l'économie que nous déboucherons, en cours d'année, de concert avec l'industrie, sur un ambitieux programme de rééquipement des pâtes et papiers, et aussi sur des mesures concrètes, qui ont déjà été amorcées d'ailleurs, pour diminuer les mauvais effets d'une conjoncture minière déplorable, surtout dans les secteurs du cuivre et du zinc. En 1978, nous allons également nous atteler avec une insistance sans précédent à la tâche de renforcer notre agriculture et de lui donner, une fois pour toutes, l'assurance de l'avenir. Avec l'expansion, entre autres, les moyens d'action de SOQUIA, l'amorce sérieuse d'une véritable politique sucrière, et l'entrée dans les épiceries des vins fabriqués et embouteillés au Québec, nous veillerons en même temps à l'indispensable développement de l'agro-alimentaire, à propos duquel se tiendra d'ailleurs, dès le printemps, le premier des mini-sommets économiques de l'année. Mais la Chambre sera également invitée à approuver tout un train de mesures législatives touchant notamment le crédit agricole, auquel nous voulons donner plus d'ampleur et de souplesse grâce au concours des institutions financières, ainsi que des améliorations substantielles en ce qui concerne l'assurance-prêts, l'amélioration des fermes, le sort des agriculteurs locataires et le crédit à la production, incluant désormais un crédit spécial pour les périodes critiques. Ajoutons que, pour la seconde année de suite, nous n'éprouvons pas la moindre tentation de rogner sur les crédits budgétaires de l'agriculture et que, par exemple, nous avons la ferme intention d'accentuer des programmes tels que la distribution du lait dans les écoles, dont le bénéfice est tout autant hygiénique et social qu'économique. Maintenant, le zonage de nos terres agricoles promis l'an dernier, cette mesure tellement attendue, si longtemps attendue en vain, de la protection de nos terres agricoles commencera à se réaliser au cours de cette session. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas trop tôt, si l'on veut vraiment mettre à l'abri de la spéculation et de l'appétit insatiable des "développeurs" immobiliers, y compris un nombre croissant de non-résidents, ce qui reste de nos meilleurs sols arables. Vu les intérêts qui se trouveront inévitablement dérangés par ce changement, on peut s'attendre qu'il soit vivement discuté, puisqu'il s'agit d'un domaine où, comme dit la chanson: "Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir." A condition d'y mettre compréhension et ménagements, ce à quoi nous nous engageons dès le départ, tout le monde, cependant, à commencer par les porte-parole des agriculteurs, sait qu'il faut que cela se fasse, et que le moment de le faire est plus qu'arrivé. Comme, aussi, il est plus que temps de finir par concrétiser, et là encore, après des années de tergiversations, une loi générale de l'urbanisme et de l'aménagement qui viendra encadrer enfin cette utilisation du territoire qui s'est faite jusqu'à présent d'une manière dangereusement incontrôlée et trop souvent irrationnelle. Le tourisme constitue lui aussi, en même temps qu'une priorité économique et un facteur essentiel d'équilibre dans notre balance des paiements, une dimension nécessaire de l'emploi harmonieux et bien rentabilisé du territoire. Là encore, le gouvernement est décidé à maximiser les attraits du Québec pour ses propres citoyens comme pour les visiteurs étrangers. On vous demandera de procéder aux actions législatives requises en vue de rendre accessibles à tous les Québécois leurs territoires de chasse et de pêche et de faciliter la création ou l'expansion d'établissements touristiques et récréatifs. Et on a bon espoir, le site en ayant été laborieusement choisi, mais bien choisi, de voir démarrer avant trop longtemps, la construction du Centre des congrès de Montréal, ce grand projet--c'est mieux de ne pas improviser comme il est déjà arrivé... Ce grand projet que l'industrie hôtelière, avec toute l'économie d'accueil de la métropole, attend avec beaucoup d'impatience. De même qu'à l'autre extrémité du Québec c'est avec une impatience au moins aussi justifiée qu'on espère voir se dessiner enfin un avenir plus prometteur pour le secteur des pêcheries, à l'intention duquel le gouvernement a fait préparer des perspectives quinquennales qui seront discutées bientôt avec les populations concernées de la Côte-Nord, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Le gouvernement s'apprête donc à multiplier les efforts pour relancer l'économie en l'aidant, au besoin, à se restructurer. Mais, pour que cela réussisse, il faut évidemment que le Québec se fasse d'année en année plus productif et plus efficace dans un monde où la concurrence, elle est de plus en plus féroce. C'est pourquoi, entre autres choses, nous reviendrons ensemble a cette idée d'un institut de productivité que nous avions commencé à examiner, et peut-être aussi à d'autres projets pour donner plus de vigueur à nos secteurs d'exportation. C'est avec le même souci d'efficacité et de productivité que nous amorcerons également une réorganisation dans certaines de nos sociétés d'État. Rappelons que c'est déjà fait pour la raffinerie de sucre, et il est d'autres cas où ce n'est pas moins indiqué. Après 15 ou 20 ans qui ont vu apparaître et se multiplier les entreprises publiques, et s'accroître continuellement leurs effectifs, leurs chiffres d'affaires et partant leur place stratégique dans l'économie, le temps était venu de faire le point, en revoyant avec elles les obstacles qui peuvent se présenter et surtout les conditions d'une nouvelle erre d'aller. Et, pour commencer, on vous proposera bientôt des modifications importantes au plus gros morceau de tous, c'est-à-dire à l'Hydro-Québec, à sa loi et à ses structures et aussi à celle du développement de la région de la baie James, en ce qui a trait surtout à la Société d’énergie. Ce qui permet de rappeler, puisque je parle d'énergie, qu'en plus d'un programme d'économie qui est sur le point de démarrer, et d'un effort qu'on s'apprête à déclencher du côté de formes ou de sources nouvelles d'approvisionnement, nous aurons bientôt l'occasion d'étudier la deuxième partie--la partie "opérationnelle"--du livre blanc qui a été mis au point sur cette question de l'énergie, une question que, désormais, toutes les sociétés devront garder au cœur de leurs préoccupations. Et comme pour souligner encore davantage cette insistance avec laquelle il va falloir cette année nous occuper de choses économiques, l'Assemblée nationale commencera presque tout de suite, conformément à un accord intervenu entre nous à la fin de la dernière session, à discuter le projet de loi où on prévoit le lancement d'une société nationale de l'amiante, entreprise qui permettra aux Québécois d'entrer une bonne fois dans le club traditionnellement privé et exclusif des exploitants étrangers d'une ressource dont nous sommes encore quand même les premiers exportateurs au monde et puis de voir avec eux, d'égal à égal, à organiser une recherche qu'on a trop négligée et à susciter dans les plus brefs délais ces activités de transformation dont les propriétaires que nous sommes ont été assez longtemps dépourvus. Après quoi, dans quelques semaines, nous aurons le tableau des crédits, puis le discours du budget, qui demeure sans doute le geste annuel le plus central d'un gouvernement, et le plus révélateur de ses approches et de ses intentions, geste qui est attendu cette année avec beaucoup d'espoirs auxquels nous tenons à répondre dans toute la mesure du possible. Tout cela pour dire aussi, avant de passer à autre chose, qu'il faut bien nous rentrer dans la tête, tous et chacun, que c'est le Québec et son État, avec ses entreprises et son peuple tout entier, qui auront de plus en plus, dans quelque forme d'avenir que ce soit, à assumer le rôle de maîtres d'œuvre de leur développement. On doit le prendre à bras le corps dans tous les coins où, déjà, il nous appartient, il dépend de nous. Et pousser sans relâche de toutes nos forces, aussi longtemps que durera le régime actuel, pour faire avancer les choses là où les décisions ne dépendent de nous que partiellement ou, trop souvent, pas du tout. De ce point de vue, je me contenterai d'évoquer à nouveau, mais très brièvement, vous le comprendrez, la profonde déception qu'a laissée derrière elle la conférence fédérale-provinciale de la semaine dernière. On nous faisait éloquemment entrevoir d'Ottawa une vraie offensive, une offensive d'urgence et d'envergure sur tous les fronts principaux de cette relance économique dont on a tant besoin. Comme nos homologues de toutes les provinces, nous avions préparé nos dossiers sur les questions les plus pressantes où l'État fédéral a le devoir strict d'agir, soit exclusivement, soit comme un bon partenaire, soit encore comme détenteur de la masse budgétaire de loin la plus considérable de toutes. A cet infatigable inventeur de programmes cataplasmes, improvisés, improductifs et éphémères, on demandait d'appuyer plutôt les efforts de notre gouvernement du côté des pâtes et papiers qui, elles, sont là pour durer, et de l'industrie minière qui fait aussi partie de l'avenir du Québec et qui doit y demeurer. On le priait aussi de penser cette fois à hausser un peu les quotas de nos producteurs laitiers qu'il n'a cessé de diminuer depuis trois ans. On lui soulignait de plus, avec toutes les autres provinces, sans exception, qu'en matière de logement social, il suffirait de remplacer les chinoiseries bureaucratiques imposées à nos prédécesseurs, qui les ont acceptées en 1974, de remplacer cela par une enveloppe budgétaire globale, et qu'alors avec les mêmes sommes d'argent on répondrait bien plus vite et plus adéquatement aux besoins d'habitation nouvelle ou restaurée des personnes âgées et des familles démunies. Enfin, on se permettait de lui rappeler les $100 millions, je répète les $100 millions, de manque à gagner de la Loto-Canada qui creusent un trou béant dans le fonds de remboursement olympique et les quelque $800 millions que représentent à ce jour les fonctions policières que l'État québécois remplit à sa place. Mais le fédéral n'a daigné accéder, ni même répondre clairement à aucune de ces demandes. Elles étaient pourtant formulées en termes raisonnables et fondées sur de vraies urgences au nom d'une population qui, payant toute sa part dans ce régime, est loin d'en retirer les bénéfices auxquels elle a droit en matière tout spécialement de création d'emplois. Voilà donc une simple addition saisonnière préélectorale à toutes les choses autrement plus fondamentales qu'on aura à l'esprit lors du référendum qui fournira au peuple québécois, pour la première fois de son histoire, l'occasion de faire son propre choix de carrière en fixant lui-même librement son statut politique, et partant tout son avenir. En vue de cette échéance historique, l'Assemblée nationale verra sûrement à compléter dans les meilleurs délais son examen de la loi sur la consultation populaire, projet qui a déjà subi d'ailleurs, dans ses grandes lignes, la longue épreuve d'un comité parlementaire. Et pour améliorer le fonctionnement de notre vie démocratique, au moment du référendum, de même qu'au prochain scrutin, nous serons appelés aussi à remanier quelque peu la Loi électorale et celle qui régit le recensement des électeurs. D'autre part, la commission permanente nous présentera bientôt son projet de refonte des circonscriptions, ce qui nous amènera inévitablement à nous pencher en même temps sur l'opportunité de la réforme souvent évoquée de notre mode de scrutin. Nous aurons également à étudier des mesures visant à renforcer la démocratie sur le plan municipal, en prévision, entre autres, d'élections qui doivent venir cette année dans plusieurs des plus grandes villes du Québec, à commencer par la métropole, sans oublier des modifications importantes qu'on nous suggérera d'apporter à la Loi de la Communauté urbaine de Québec. Dans le champ pratiquement illimité des droits de la personne, au sens le meilleur de l'expression, nous avons déjà pas mal de pain sur la planche, qui vient de la dernière session: la Loi pour assurer les droits de personnes handicapées, et la nouvelle loi de conciliation entre locataires et propriétaires, et aussi celle qui instituera chez nous ce recours collectif, le "class action", qu'on pratique déjà partout ailleurs en Amérique du Nord, et encore la refonte par étapes de la Loi de protection du consommateur, dont nous avons en main le premier volet depuis l'autre session. Viendront aussi des changements fondamentaux à la Loi de l'adoption et des améliorations non moins importantes à la Loi des tribunaux judiciaires, à quoi il faut ajouter les modifications déjà prévues à la probation et aux établissements de détention, le projet de loi sur la libération conditionnelle et une mesure dont l'opportunité ne fait de doute pour personne, afin de régir les agences d'investigation et de sécurité. Il faut souligner, de plus, sans que la Chambre soit nécessairement appelée à se prononcer là-dessus dans l'immédiat, que le travail avance sur le terrain prometteur, mais, admettons-le, très malaisé, du revenu familial garanti, et qu'en revanche on compte bien aboutir à la loi générale qui viendra encadrer les questions vitales que posent depuis si longtemps, et dans un tel fouillis, la santé et la sécurité des travailleurs québécois. D'autre part, c'est tout prochainement qu'on nous proposera une définition rénovée des conditions minimales de travail parmi lesquelles se trouveront enfin les premiers jalons concrets du congé de maternité. J'ajoute que les nouvelles prévisions budgétaires nous permettront d'envisager aussi une accélération substantielle et une réorientation du développement des garderies, en attendant les recommandations plus globales que le Conseil du statut de la femme doit nous faire parvenir sur l'ensemble de la condition féminine. Quant au troisième âge, cette autre grande fraction de la société qu'on a cruellement négligée dans le passé, nous continuerons dans les mois qui viennent la mise en place de la politique de rattrapage amorcée l'an dernier dans le domaine des médicaments, dans celui des loisirs et, en dépit des complications proprement inextricables que suscite le "bureaucratisme" fédéral, dans le domaine pressant entre tous du logement subventionné et des centres d'accueil. Nous mettrons également, plus fort que jamais, l'accent sur le développement des services à domicile et sur une accessibilité sans cesse meilleure aux soins indispensables pour nos malades chroniques. De ces priorités simplement humaines qui ne peuvent que sauter aux yeux de tout le monde, passons maintenant à ces autres aspects primordiaux de la qualité de la vie individuelle et collective: l'éducation, les loisirs et l'ensemble de la politique culturelle. Parsemée en cours de route de quelques livres aux diverses couleurs, l'année en sera une largement de prospection dans ces grands secteurs, avec des étapes de décision qu'il faudra d'abord évaluer ensemble avec beaucoup de soin. Dans le domaine de l'éducation, tous, je crois, ressentent la nécessité de faire le point sur l'évolution, pas toujours complètement heureuse, de la vaste réforme des années soixante. Il n'est pas question, bien sûr, de sacrifier la moindre parcelle de l'expansion ni de la démocratisation déjà si tardives qu'elle nous a apportées. Toutefois, rien n'est plus évident que l'insatisfaction confuse mais généralisée qui flotte autour, aussi bien qu'à l'intérieur très souvent, de l'école, du collège et de l'université. De la diffusion et de la discussion bien amorcée du livre vert sur l'enseignement élémentaire et secondaire, on peut compter qu'un nouvel éclairage surgira avant trop longtemps, parce qu'il faut que la population nous aide à le trouver cet éclairage, pour nous indiquer les transformations requises et qui exigeront sans doute des actions législatives. De même, des études en cours déboucheront-elles -- c'est du moins ce qu'on espère -- sur un renouveau de la qualité de l'enseignement dans les CEGEP. Quant aux universités, on pourra très bientôt les consulter sur les hypothèses qui découlent d'une étude exhaustive qui a été faite de l'état de la recherche scientifique, où l'on sait à quel point nos retards demeurent inquiétants. Confirmons de plus, puisque la nouvelle en court déjà, qu'à la suite de l'Ontario et de l'Alberta, qui ne sont pas précisément les plus dépourvues des provinces canadiennes, le gouvernement a décidé qu'il fallait absolument, dans le contexte économique et budgétaire qui est au moins aussi difficile pour nous que pour les autres, hausser substantiellement les frais de scolarité des étudiants étrangers qui n'ont pas cessé de se multiplier ces dernières années et qui se multiplient encore davantage depuis que l'Ontario s'est décidé d'agir à côté de nous. Et je dois ajouter que le secteur important, éminemment délicat aussi et controversé, de l'enseignement privé fait l'objet présentement d'une réflexion dont les résultats vous seront éventuellement communiqués. Suite à beaucoup de consultations, il me fait plaisir d'apprendre aussi à la Chambre que, pour répondre aux besoins légitimes de beaucoup de nos vieux enseignants, ex-religieux pour la plupart et qui ne sont pas couverts par les régimes de retraite en vigueur, une loi remédiatrice à ce point de vue vous sera bientôt proposée. Du côté des activités culturelles, nous évoquions l'an dernier la remise en chantier des perspectives déjà fort valables héritées de l'ancien gouvernement. A partir de là, un ensemble de politiques, avec les programmes et les structures qu'elles nécessitent, sont désormais au point et vous seront soumises incessamment. Parmi les mesures qui en découleront avec votre accord. il faut certes mentionner cette nouvelle loi du cinéma qu'on attend depuis un bon bout de temps et puis aussi un projet tout neuf, et non moins prometteur, qui prévoira la création d'une société de développement chargée d'accroître vigoureusement et sans tarder la participation des Québécois dans tout le vaste secteur des industries culturelles où des dizaines de millions de dollars circulent chaque année au Québec et où l'initiative et le contrôle, si l'on n'y prenait garde, finiraient par nous échapper complètement. Pour enrayer cette véritable aliénation et nous assurer progressivement la place qui doit nous appartenir dans un domaine qui touche de si près à notre créativité et à notre identité elle-même. Il est grand temps que le gouvernement se décide à assumer la responsabilité première du redressement qui s'impose. On me permettra de réaffirmer ici que ce besoin aussi normal que pressant que ressent le Québec français d'exiger enfin le respect et toute la place qui lui revient chez lui continue de n'exclure absolument pas le respect ni la place auxquels ont également droit ceux qui vivent à nos côtés. Touchant les entreprises, par exemple, il n'est pas inopportun de noter que l'implantation des organismes et des programmes de francisation s'avère, jusqu'à présent, bien plus facile qu'on ne le craignait, surtout dans des milieux où l'on voulait craindre. Et c'est la même préoccupation de coexistence aussi harmonieuse et fraternelle que possible avec tous les groupes minoritaires qui devra présider à la discussion d'une série de projets de loi découlant des ententes conclues récemment avec nos concitoyens amérindiens et inuit. Et puis, quand tout l'essentiel est accompli, ou presque, la vie nous laisse les loisirs. Or, c'est une part de l'existence qui, pour beaucoup, s'en va croissant d'année en année. Une société à la page doit donc se donner une certaine politique du loisir, mais une politique qui ne doit surtout pas avoir la moindre odeur de dirigisme, puisqu'il s'agit de la portion de notre temps qui est libre et doit le demeurer. Cependant, en ce qui touche les équipements nécessaires et leur accessibilité, ainsi que l'encouragement à une participation toujours plus large et plus enrichissante, on trouve amplement matière au genre de politique souple et décentralisée que décrit le livre vert dont l'étude se poursuit couramment dans tous les milieux qui s'intéressent activement aux loisirs et aux sports. Et puisque nous venons d'évoquer la décentralisation, j'ajouterai que le travail amorcé l'an dernier se poursuit et se poursuivra jusqu'au moment où on aura le sentiment d'avoir cerné le mieux possible tous les aspects d'une démarche aussi fondamentale et les étapes par lesquelles elle devrait passer. Comme toutes les sociétés développées, nous sentons bien la nécessité d'ajuster nos objectifs nationaux qui tendent naturellement à centraliser et à bureaucratiser, avec une énergique revalorisation du pouvoir local et régional. Mais ce n'est pas une mince besogne d'arriver à définir convenablement la manière et le rythme de progression d'un tel changement. Aussi devrais-je me contenter pour aujourd'hui d'affirmer que les hypothèses de travail vont bon train. Et avant la fin de l'année, par ailleurs, nous aurons à nous prononcer sur l'instauration de nouveaux ministères, au sujet desquels la réflexion doit se poursuivre encore quelque temps, pour s'assurer de la cohérence et éviter l'excessive multiplication des structures gouvernementales. Et puis, avant de terminer, on me permettra d'évoquer au moins deux faits importants qui vont se produire au cours de 1978. Le premier, qui aura sûrement quelques répercussions dans cette Chambre comme dans tout le Québec, c'est le retour des grandes négociations dans les secteurs public et parapublic. Dès le mois de juin qui vient, ce sera l'expiration des contrats dans la Fonction publique, chez les infirmières et chez les enseignants anglo-catholiques. Le gouvernement prépare avec soin la politique salariale qu'il proposera, au nom de l'État employeur, à ces groupes d'employés essentiels à la collectivité. Puis-je souligner tout de suite que cette politique sera fondée, aussi solidement que nous arriverons à les percevoir, sur un souci constant de justice distributive et d'équilibre économique? Je ne répéterai pas ce que je disais tout à l'heure au sujet de la situation économique, mais on peut y ajouter ceci, résumant des propos que j'ai tenus en décembre dernier, alors qu'on discutait du gel temporaire de nos traitements. Collectivement, c'est très simple, nous Québécois, ne travaillons pas assez. Pas assez en tout cas pour justifier, ni même de plus en plus pour fournir tout ce dont on réclame d'un individu et d'un groupe à l'autre, la jouissance incontestable et immédiate. Les perspectives que cela évoque forcément sont tout aussi inquiétantes qu'on les voit à partir du dedans ou du dehors. Au-dedans ce qu'on aperçoit, c'est non seulement une collectivité qui vit vraiment au-dessus de ses moyens, mais aussi une distorsion socio-économique qui accentue et qui aggrave encore les résultats de ce comportement. Et au dehors, pendant ce temps, d'autres sociétés ont entendu plus vite que nous le signal d'alarme et ont retrouvé le chemin de ce qu'on pourrait appeler la "raisonnabilité". Il y a là quelque chose qui est décidément malsain, économiquement impossible à maintenir et destiné par conséquent à devenir explosif si on ne se décide pas à réagir. Or, on doit le dire franchement puisque tout le monde le sait -- les secteurs public et parapublic, là surtout où la sécurité d'emploi est de règle et les avantages qu'on dit "marginaux" généralement meilleurs que partout ailleurs, ont désormais le devoir de comprendre que, dans l'ensemble, ils sont devenus à la fois la locomotive et le wagon de tête de toute la société, et qu'on ne peut pas continuer indéfiniment à devancer sans cesse davantage le reste du convoi où se trouvent quand même tous les autres qui font les frais de l'addition. Ce qui ne signifie pas le moins du monde que le gouvernement prétende se refuser à la négociation là-dessus comme sur tout ce qui est négociable ni qu'il se ferme les yeux aux rattrapages dont certaines catégories ont encore besoin, ni qu'il ignore la façon dont le coût de la vie gruge le pouvoir d'achat. Il s'agit simplement de nous rappeler tous ensemble avant d'entamer, comme disait l'autre, des discussions "viriles", un devoir assez évident de modération et de sens civique. Et sur cet espoir qui ne nous semble pas déraisonnable, je vais quitter le sujet en citant un ouvrage, à ce propos, qui est encore inédit: "Même si le Québec est engagé en ce domaine dans une voie qui paraît le placer à l'avant-garde, il serait vain d'envisager un retour en arrière; mieux vaut désormais chercher à définir un cadre souple et réaliste à l'intérieur duquel le processus de la négociation sera vraiment, ainsi qu'on en a souvent exprimé le vœu, une démarche civilisée". L'ouvrage en question, c'est le rapport de la Commission Martin-Bouchard, sur la révision du régime des négociations collectives, dans les secteurs public et parapublic, que ses deux auteurs nous ont remis très précisément à la date convenue, la semaine dernière, et qui sera déposé demain à l'Assemblée nationale afin que nous puissions l'étudier dans les plus brefs délais, pour adopter, le cas échéant, certaines mesures d'importance majeure qui s'y trouvent suggérées. Enfin, il faut souligner aussi que 1978, c'est le 30e anniversaire de l'adoption du drapeau du Québec et le 370e de la fondation de la capitale du Québec, qui tombent le 3 juillet prochain. Inutile de dire que la semaine du patrimoine et que la fête nationale seront marquées et prolongées cette année par ces deux dates mémorables. Pour nous, elles évoqueront, pour nous tous, j'en suis sûr, la fierté tranquille que méritent d'inspirer l'ancienneté aussi bien que la solidité inébranlable de nos racines. Aux autres qui partagent avec nous ce continent, elles permettront de se souvenir que c'est ici qu'a débuté jadis la grande aventure des découvertes et du peuplement d'origine européenne, et pour beaucoup d'entre eux d'apprendre en même temps que cette histoire française non seulement se poursuit, mais qu'elle est aujourd'hui plus vivante et plus remplie d'espérance que jamais.