Province Législature Session Type de discours Date du discours Locuteur Fonction du locuteur Parti politique Québec 29e 2e Débat sur le discours inaugural 23 février 1971 M. Robert Bourassa Premier ministre PLQ M. Bourassa : Je ne commenterai pas, M. le Président, la manœuvre publicitaire à peine déguisée du Parti québécois. Cette deuxième session de la 29e Législature du Parlement québécois s'ouvre à un moment où le Québec doit faire face à des problèmes qui doivent mobiliser toutes ses énergies. Les affaires du Québec ont leurs difficultés, leurs embûches et leurs défis. Je n'ai pas l'intention, dans ces quelques notes inaugurales, de masquer la vérité ou de camoufler l'urgence de certaines situations, tout comme il serait déraisonnable de faire preuve de pessimisme devant la nature des tâches que nous avons à accomplir. Ces tâches, elles sont certes difficiles, mais elles sont aussi exaltantes. Les problèmes de notre temps commandent à ceux qui sont chargés des affaires publiques beaucoup de lucidité et de raison tant sont fortes les passions des hommes et divisés leurs intérêts. C'est à cette lucidité et à cette vérité que nous entendons nous attacher. À travers les tensions des groupes et leurs exigences, il nous faut chercher des accommodements raisonnables et trouver des points de rencontre qui se rapprochent le plus idéalement possible de la satisfaction du bien commun. Le rôle du gouvernement à cet égard est de proposer aux élus les solutions qui lui paraissent les plus conformes à l'intérêt collectif. Grâce aux moyens dont il dispose, le pouvoir exécutif a déjà effectué un premier arbitrage. D'autres sont nécessaires. Croyez bien que le gouvernement ne se formalisera pas des solutions appropriées qui pourraient lui venir des diverses oppositions, car nous sommes convaincus que le débat public est la seule façon de faire avancer les choses et d'assurer la paix sociale. Le gouvernement a sa responsabilité. L'Opposition a la sienne. C'est dans cette Assemblée que chacun de nous doit assumer sa responsabilité d'élu du peuple. Les débats parlementaires. Certes, le débat parlementaire a parfois ses lenteurs. La marche des événements, plus rapide que jamais, fait qu'il a parfois du mal à garder le contact avec le cœur des problèmes. Cependant, malgré ses imperfections, le débat parlementaire est le seul moyen d'en arriver à un consensus qui satisfasse l'ensemble des citoyens. Je ne prêche pas les vertus inconditionnelles du système parlementaire. Je constate simplement que nous n'avons pas le choix; son abandon mène directement à la violence et au mépris de la vie. Des événements qui nous ont touchés de trop près ont illustré jusqu'à quel point peuvent aller les passions lorsqu'elles ne sont pas tempérées par les règles de la discussion publique. À nous de faire en sorte que notre Assemblée remplisse véritablement son rôle. Le gouvernement présentera à l'Assemblée nationale un ensemble de mesures législatives qui auront une influence déterminante sur notre avenir économique, social et culturel. Ces mesures législatives ne sont évidemment pas exclusives. Les ministères et les organismes gouvernementaux participent aussi très directement à la solution des problèmes québécois. Leurs décisions administratives n'ont peut-être pas toujours l'éclat des actes législatifs; elles n'en sont pas moins importantes pour l'avenir du Québec. Nous ne prétendons pas, en une session parlementaire, résoudre tous les problèmes du Québec. La nature des dossiers qui retiennent notre attention interdit pareille approche. Dans notre société, chacun joue sa partition. Il y a ceux qui parlent de solutions. Il y a ceux qui les font. Ces derniers servent leurs concitoyens avec tellement plus de mérite que les plus turbulents ténors de nos places publiques. Comme gouvernement, nous sommes là pour agir; nous avons agi et nous continuerons d'agir. Le thème du développement économique a été et demeure la principale préoccupation du gouvernement. Préoccupation principale n'est pas préoccupation exclusive. Rien n'est pour autant sacrifié au rayonnement culturel et à la dignité sociale du fait que nous concentrons nos efforts et sur le développement économique et sur les problèmes particulièrement aigus du chômage et du sous-emploi de nos ressources. Le progrès économique n'est pas dissociable du progrès social et culturel. D'aucuns ont tendance à isoler cette priorité gouvernementale et à l'opposer aux autres pôles de croissance de notre société. Ils transforment ce qui est chez nous une stricte priorité d'action en une sorte d'obsession du court terme, voire d'absence de définition globale de la société québécoise. Les "définisseurs" professionnels de situations doivent peut-être rappeler à ceux qui gouvernent qu'ils ne sont pas uniquement d'honnêtes administrateurs des dépenses publiques. Ils devraient cependant comprendre que c'est précisément parce que nous voulons dépasser le court terme que nous avons inscrit le développement économique en tête de liste de nos objectifs. Sans compréhension et sans maîtrise relative des données économiques qui conditionnent largement notre vie individuelle et collective, nous risquons de retourner à un modèle de société fermée que nous avons trop longtemps connue. Le style d'action du gouvernement actuel en est un d'effort d'interprétation globale de la réalité québécoise. Dans la mesure où le succès économique est un élément déterminant du développement de la collectivité, québécoise, une condition nécessaire et un facteur essentiel à la réalisation de ses aspirations culturelles et sociales, il devient une motivation aussi stimulante que l'ont été la démocratisation de l'éducation et les autres grandes réformes et innovations de la révolution tranquille. Dans cette perspective, nous trouverons, sous l'aspect rigoureux du développement économique, les voies prometteuses d'une nouvelle ambition collective, celle d'une plus grande prospérité pour tous les Québécois. Cela demeure, aujourd'hui plus que jamais, notre conviction. Croissance économique. Oubliant nos intérêts partisans, nous devons faire collectivement nôtre l'objectif de la croissance économique. Je comprendrais mal que des Québécois dignes de ce nom se réjouissent de l'augmentation du chômage et applaudissent à cette réalité du seul fait qu'ils croient y trouver une défense de leurs thèses partisanes. Que d'aucuns parmi nous conservent, à l'égard des actions économiques du gouvernement, une vigilance critique et positive, je le comprends facilement. J'ose croire cependant qu'aucun d'entre eux ne rêve de bâtir son avenir sur l'affaiblissement de notre peuple. La critique est certainement utile et nécessaire; l'action l'est assurément davantage. Bâtir l'avenir, c'est bien de cela qu'il s'agit. Membres d'une communauté d'un modèle exclusif, nous le resterons et nous accentuerons les traits spécifiques de ce que nous sommes dans la mesure, et dans la mesure seulement, où nous sortirons de notre situation d'infériorité économique. C'est à cela que nous entendons continuer de travailler. Nous agirons partout où cela est possible, avec tous les moyens à notre disposition et en nous donnant d'autres outils au besoin. Nous voulons ainsi, d'une part, limiter à un strict minimum les contraintes d'une conjoncture économique continentale défavorable et, d'autre part, amorcer la relance indispensable à la vitalité de notre développement. Le gouvernement sait bien qu'en plaçant le développement économique et la lutte contre le chômage au premier chef de ses activités, il doit tenir compte également d'une foule de facteurs sur lesquels il ne peut avoir qu'un contrôle relatif. Le gouvernement du Québec pourrait facilement faire retomber sur d'autres le fardeau du chômage et de tout ce qui l'accompagne. Ce n'est ni le style, ni l'approche du gouvernement que je dirige. Aussi, quelles que soient les limites de nos responsabilités, nous poursuivrons les efforts déjà engagés. Nous mettrons de l'avant de nouveaux programmes visant à ranimer le développement industriel, commercial et financier et à réactiver l'emploi. En un mot, nous prendrons nos responsabilités et la population en jugera. Développement industriel. Les lois actuelles d'aide au développement industriel seront orientées en vue d'une meilleure utilisation des ressources. De caractère sélectif, de nouveaux programmes d'aide à certains types d'entreprises viseront à modifier la structure industrielle québécoise dans un sens plus favorable. Les industries motrices de développement et créatrices d'emplois seront privilégiées dans l'attribution des subventions publiques: programmes d'assistance technique aux petites et moyennes entreprises, Loi des fonds industriels, municipaux, assistance aux commissariats industriels, prêts à taux d'intérêt réduit, création d'une agence de développement industriel, participation accrue à l'objectif de développement des ministères à vocation économique, comme ceux des Terres et Forêts, des Richesses naturelles et du Tourisme, et des organismes paragouvernementaux, dont Soquem dans le secteur minier. Voilà quelques-unes des mesures qui seront soumises â l'attention de l'Assemblée nationale et qui viendront compléter les décisions administratives, financières et budgétaires prises ces derniers temps ou qui seront annoncées sous peu. Je pourrais, M. le Président, détailler très longuement toutes les modalités de ces différentes mesures, mais j'aurai certainement l'occasion de le faire lors du dépôt des projets de loi. Politique tarifaire. Tous les efforts du Québec pour orienter de façon rationnelle son développement pourraient toutefois tourner à vide et ne produire que des résultats marginaux si les politiques fiscales, tarifaires et monétaires du gouvernement central ne sont pas coordonnées avec nos priorités de développement. Premier responsable du territoire où il exerce ses compétences et du bien-être de la population dont il est le mandataire, le gouvernement du Québec fera en sorte que l'action des autres gouvernements soit conjuguée à la sienne. En ce qui concerne la politique tarifaire et commerciale, nous insisterons de façon systématique pour que celle-ci tienne compte des caractères particuliers de la structure industrielle québécoise, de la vulnérabilité de certains de nos secteurs comme des possibilités d'expansion de certains autres. Ceci avec la même fermeté que le gouvernement du Québec a mise pour amener le gouvernement fédéral à modifier sa politique anti-inflationniste pour une politique de lutte contre le chômage ou encore à préciser certaines dispositions du livre blanc sur la fiscalité, ce qui, on le sait, a permis le déblocage d'importants investissements miniers — plus d'un demi-milliard en fait — déblocage qui en amènera d'autres sous peu. Le fédéralisme canadien. Bref, le fédéralisme canadien doit tenir compte autant des impératifs nécessaires au développement économique du Québec qu'au caractère culturel distinct de la société québécoise. D'ailleurs, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que la politique fédérale de développement régional a apporté au Québec, ces derniers temps, des avantages économiques importants. Nous croyons en la possibilité d'une véritable affirmation de notre identité culturelle dans le régime fédéral. Affirmation culturelle, c'est-à-dire maîtrise par le Québec et des moyens financiers et des compétences constitutionnelles qui lui permettront de promouvoir l'avenir culturel des Québécois. Par ailleurs, le vaste champ de l'économie appelle le Québec à collaborer avec les membres de la fédération canadienne et le pouvoir fédéral à l'établissement des politiques qui ont une influence directe ou indirecte sur son développement. Toute interprétation du fédéralisme qui ne reconnaîtrait pas cette double réalité fondamentale nous apparaît fautive. Nos positions à la dernière conférence constitutionnelle ont traduit cette dimension de la réalité québécoise. Nos réserves ont voulu témoigner de notre volonté d'associer la population du Québec à la définition de ce nouveau fédéralisme. Malgré les difficultés inhérentes à ce processus de la révision constitutionnelle, je suis convaincu qu'il est possible à des hommes qu'anime une même volonté de servir l'intérêt public — quel que soit le niveau de gouvernement où ils exercent leurs activités — d'harmoniser les politiques indispensables au bien-être des collectivités dont — faut-il le rappeler — ils ne sont que les serviteurs. Programme législatif. En plus d'être saisis prochainement de ce problème fondamental, les députés auront à étudier des lois importantes concernant nos affaires sociales. Des lois sur les établissements de santé et de bien-être et sur les offices régionaux de santé et de services sociaux favoriseront la décentralisation de ces organismes, enlevant ainsi à l'aide de l'État le caractère paternaliste qu'elle pourrait avoir. Nous serons appelés à adopter des positions de principe sur un projet majeur de refonte du droit professionnel dans les domaines de la santé et du bien-être. Cette loi visera à démocratiser les structures des corporations professionnelles du Québec. Toutes ces lois contribueront à réaliser notre programme de justice et de progrès social pour tous les citoyens du Québec. Au chapitre de l'éducation, l'Assemblée nationale étudiera la Loi de la restructuration scolaire sur l'île de Montréal, anciennement le projet de loi 62, celle du regroupement des commissions scolaires sur le territoire québécois et plusieurs autres lois toutes orientées vers l'amélioration de la qualité de l'enseignement. Sur le plan de la vie démocratique québécoise, nous serons appelés à poursuivre et à intensifier le rythme des travaux de la commission de la réforme électorale. Déjà, nous avons accompli un premier travail de déblayage et nous avons une idée plus précise de la portée et des limites de la réforme de notre système électoral. Une réunion des représentants des quatre partis de cette Assemblée a eu lieu la semaine dernière afin d'arrêter les modalités du travail de la commission et de déterminer certaines échéances. À la suite d'une entente entre les représentants des partis, ces modalités seront rendues publiques par le président de la commission dès cette semaine. Il n'est pas nécessaire d'insister à nouveau pour rappeler à cette Assemblée tout l'intérêt que le gouvernement porte à cette importante question et qu'il a déjà démontré d'une façon très réelle par l'abolition des comtés protégés, au mois de décembre. Notre objectif, et je suis sûr qu'il est partagé par tous les membres de cette Assemblée, c'est de fournir à notre démocratie des moyens d'expression qui puissent mieux refléter les diverses tendances d'opinion de notre milieu québécois. C'est une façon pour nous de marquer concrètement notre respect et notre attachement à l'autorité des voies démocratiques qui doivent continuer de présider au développement et aux progrès du Québec. Dans le secteur des affaires culturelles, une attention spéciale sera apportée à la protection de nos biens culturels. On précisera également le rôle du ministère des Communications. Quant à l'administration de la justice, le souci du gouvernement de démocratiser le fonctionnement de nos institutions judiciaires sera traduit par des mesures législatives portant sur l'accès à la justice, les cours municipales, l'indemnisation des victimes d'actes criminels, les droits fondamentaux, le code civil. Le gouvernement proposera également à l'Assemblée nationale des mesures de nature à donner à notre agriculture les moyens de se développer dans le sens d'une productivité et d'une rentabilité accrues. Ces mesures concerneront certains programmes existants comme le crédit agricole et l'amélioration des fermes. Elles répondront dans d'autres cas à des attentes trop longtemps déçues, comme la présentation d'une loi sur le syndicalisme agricole et une révision conséquente de notre Loi sur la mise en marché des produits agricoles. Des réformes importantes seront également apportées dans les structures de certains ministères, poursuivant en cela l'objectif d'efficacité administrative du présent gouvernement. À la dernière session, ces réformes ont porté sur l'administration financière et sur les affaires sociales. Maintenant, elles toucheront le ministère des Transports, ceux de la Voirie et des Travaux publics, de même que celui des Terres et Forêts. Des initiatives seront également prises afin de donner à toutes les régions du Québec une vigueur nouvelle, assurant ainsi un meilleur équilibre dans le développement de l'ensemble du territoire québécois. Ces initiatives mettront à contribution la plupart des ministères gouvernementaux et en particulier ceux de la Voirie et des Affaires municipales. Le ministre des Affaires municipales a déjà eu l'occasion d'annoncer toute une série de projets de loi qui seront présentés à la présente session et qui ont trait à l'urbanisme, à l'évaluation foncière et à d'autres sujets de nature municipale. L'Assemblée nationale aura à adopter plusieurs lois concernant l'organisation de nos structures régionales et municipales. Cette session sera aussi marquée par une innovation, la tenue au Québec de l'importante conférence provinciale-municipale qui aura lieu dans quelques mois. À peu près tous les secteurs de la vie québécoise seront donc touchés par cette volonté que nous avons de mettre à jour nos institutions et de perfectionner l'administration des affaires publiques québécoises, y compris, d'ailleurs, la question des méthodes de travail de notre Assemblée nationale et de ses commissions, des nombreux projets de loi qui auront trait aux relations patronales-ouvrières, de l'accessibilité des territoires de chasse et de pêche, de la protection du consommateur, de l'habitation. Cette session nous fournira également l'occasion d'examiner en détail le contenu et la portée de livres blancs dans des domaines particuliers, comme ceux de la Justice, des Communications, des Affaires municipales et, à la suite du rapport prioritaire de la commission Gendron, de la question linguistique. Elle nous amènera enfin à adopter des crédits et un budget qui permettront au Québec de mieux atteindre ses objectifs de développement. J'ai la certitude qu'au terme de cette session nous aurons fait avancer les choses dans la direction du mieux-être de tous les Québécois. Les fidélités au Québec prennent diverses formes. La nôtre est sans contredit plus sobre que ne le souhaiteraient certains, mais, en délaissant la forme pour le fond des situations, elle s'inscrit davantage au cœur de la réalité québécoise. Il en est particulièrement ainsi de notre priorité au développement économique. Prolongeant l'élan amorcé au début des années soixante, le développement économique ajoute aux valeurs de cette époque; il participe à la relève du défi posé par la science et la technique. Il constitue à la limite la condition essentielle du respect véritable de la dignité et de la liberté de l'homme moderne. L'année dernière, lors de l'ouverture de la session, j'affirmais que le Québec pourrait être une partie de la jeunesse du monde. J'en ai de plus en plus la conviction, compte tenu des exigences d'une société qui a la légitime et double ambition de participer pleinement aux fruits de la prospérité économique, tout en accentuant ses caractéristiques culturelles. Par- delà ces exigences, tous les membres de cette Assemblée comme tous les citoyens québécois partagent cette même volonté de durer et de progresser que nous tenons de la mémoire de ceux qui nous ont précédés. C'est cette volonté, cette ténacité obstinée qui nous donnent la conviction que, tous ensemble, nous réussirons à mettre en valeur les immenses possibilités et ressources du Québec et ce, au profit de l'ensemble des citoyens québécois. Pour cela, il n'y a qu'une voie, il n'y a qu'une solution: c'est encore et c'est toujours celle d'un Québec au travail! M. le Président, j'ai l'honneur de proposer la motion suivante, appuyée par M. Levesque: Que l'adresse suivante soit présentée à l'honorable lieutenant-gouverneur de la province de Québec: "Nous, les membres de l'Assemblée nationale du Québec, vous remercions pour le discours d'ouverture qu'il vous a plu de prononcer."