Province Législature Session Type de discours Date du discours Locuteur Fonction du locuteur Parti politique Québec 40e 1e Étude des crédits du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie 7 février 2013 Pierre Duchesne Ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie PQ Bonjour, Mme la Présidente. Alors, je vous salue, bien sûr, députée de Duplessis, mais mes collègues députés également, député de Bonaventure, député de Sainte-Marie—Saint-Jacques, député de Saint-Hyacinthe, député de Laurier-Dorion et le député de La Prairie. Alors, je tiens, donc, à peut-être commencer en vous présentant un état général, qu'on comprenne bien pourquoi on en est rendus où on en est rendus aujourd'hui. C'est donc un grand plaisir pour moi d'être ici présent pour présenter, bien sûr, défendre, comme on dit en termes parlementaires, les crédits de l'Enseignement supérieur. C'est un exercice qui se déroule, je le répète, dans un contexte un peu particulier. Le 19 septembre dernier, j'ai hérité d'un nouveau ministère, le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Ça faisait une bonne vingtaine d'années que l'on n'avait pas eu un ministère de l'Enseignement supérieur au Québec. Je n'ai pas besoin de vous expliquer pourquoi la première ministre a considéré essentiel d'en recréer un. La crise que nous avons traversée depuis un an est très certainement l'une des pires crises que nous avons connues au Québec. Elle a eu des coûts financiers, des coûts humains. Elle a divisé les Québécois, elle a semé la discorde dans les familles et dans les milieux de travail. Je pense qu'il est important, alors que nous abordons l'étude des crédits, de se rappeler les événements qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui. Revenons en arrière. En 2008, un gouvernement libéral est élu sur la base d'un programme où il n'y avait aucune mention des droits de scolarité. En décembre 2010, ce gouvernement organise une rencontre avec les partenaires du milieu de l'enseignement supérieur. Très clairement, la hausse des droits de scolarité était devenue l'objectif prioritaire de ce gouvernement. C'est la première chose que les gens m'ont dite quand, en octobre, j'ai commencé mes consultations en vue de la préparation de notre sommet : Ne faites pas comme les libéraux, m'ont-ils dit. Ne pipez pas les dés comme eux. La consultation de décembre 2010 avait pour seul but de faire accepter une hausse massive et brutale des droits de scolarité. Ça n'avait pas été un succès, cette rencontre des partenaires. La moitié avait claqué la porte sans attendre la fin. Quelques mois plus tard, en mars 2011, le gouvernement libéral annonçait officiellement sa décision déjà prise. À partir de l'automne 2012, les droits de scolarité devaient être haussés de 325 $ par année pendant cinq ans, un total de 1 625 $. Et on introduisait, du côté du Parti libéral, le concept de juste part sans expliquer pourquoi, au Québec, il fallait s'en aller vers un modèle à l'américaine où on finance les universités à partir de l'endettement des jeunes qui cherchent à s'établir dans la vie. C'était un gros changement avec des implications importantes. Tout au long de l'année, les étudiants ont commencé à s'organiser — on parle de 2011 — à s'organiser contre cette hausse brutale. Ils ont commencé à expliquer leur point de vue, à convaincre des gens que la hausse était trop importante. En février 2012 — ça fait tout juste un an — ils ont commencé à voter des mandats de grève générale illimitée. Dès le début, le gouvernement libéral a très mal évalué la résistance à sa politique. Le gouvernement libéral s'est dit que les étudiants critiqueraient pendant deux ou trois semaines puis qu'ils rentreraient dans le rang. C'était une erreur, une erreur stratégique importante. Quand vous êtes un gouvernement, vous devez vous assurer de préserver, de maintenir la paix sociale. Vous ne devez pas provoquer les gens, vous devez avancer avec respect envers toutes les entités de la société. Les libéraux se disaient que les étudiants et les citoyens qui les appuyaient ne croyaient pas assez en la justesse de leur cause pour mettre en danger leur session. Le mouvement ferait peu de bruit mais s'étiolerait rapidement. Le gouvernement libéral n'a pas compris qu'il y avait des gens dans la société qui considèrent qu'il est important de conserver un système universitaire reposant d'abord sur la solidarité entre les générations plutôt que sur l'endettement des jeunes. Le gouvernement libéral n'a pas compris non plus qu'il avait perdu son autorité morale. Il n'a pas compris que son refus, pendant des années, de mettre sur pied une commission d'enquête sur la corruption lui avait fait perdre toute sa crédibilité et limitait sa capacité à lancer des réformes controversées qui divisaient la population. Après le scandale des garderies et de la carte de crédit de l'ex-député de LaFontaine, après les histoires de soirées de financement et de billets pour Céline Dion de l'ex-députée de Bonaventure, après l'histoire des contrats sans appel d'offres à l'entreprise ABC Rive-Nord de l'ancien député d'Argenteuil, après l'histoire du deuxième salaire versé secrètement pendant des années au premier ministre Jean Charest — 75 000 $ versés par année sans que personne ne le sache pendant au moins 10 ans par le PLQ, et ça provenait de contributeurs, on n'a jamais su de qui, au juste — après cette autre bavure, le gouvernement libéral n'était pas en bonne position pour gérer une crise sociale, c'est le moins qu'on puisse dire. La contestation a donc grandi et grandi. Le 22 mars 2012, il y avait 200 000 manifestants dans les rues de Montréal, la plus grande manifestation au Québec depuis 10 ans. Plus de 300 000 étudiants étaient en grève, et encore plus avaient pris position contre la hausse brutale des droits de scolarité. C'est à partir de ce moment que le régime libéral s'est dit que son plan initial risquait de ne pas fonctionner, et c'est là que les choses se sont mises à déraper. Quelqu'un au gouvernement, au gouvernement libéral, a réalisé à ce moment-là que ce serait peut-être plus facile de faire une élection sur la crise étudiante, de faire une élection sur le dos de toute une génération. Ce serait plus facile, faire une élection là-dessus que sur le bilan de leur gouvernement en matière de lutte contre la corruption. On a ainsi espéré que les gens plus âgés soient en colère non pas contre ce gouvernement libéral et ses histoires de corruption, mais contre leur jeunesse. On a déchiré le tissu social au Québec, et ce gouvernement s'est dit — ce gouvernement libéral — qu'il pouvait gagner une élection de cette façon. Le gouvernement libéral s'est donc entêté. Il ne fallait pas discuter, il ne fallait pas arriver à un compromis. Il fallait en remettre, il fallait faire monter les tensions sociales. Il fallait préparer les élections le plus rapidement possible. On connaît la suite, Mme la Présidente. On refuse de rencontrer les leaders étudiants, on multiplie les déclarations incendiaires pour faire monter la pression toujours plus, on met en danger la paix sociale au Québec. On se défend d'instrumentaliser la crise, dit-on, au PLQ, mais, au lieu de calmer le jeu et de s'asseoir avec les partenaires, on fait des blagues sur les jobs dans le Nord, et je pense que j'aurai l'occasion de rappeler cette mauvaise blague un peu plus tard. On accuse même un poète comme Fred Pellerin de faire de l'intimidation. Dans un contexte aussi tendu, il fallait s'attendre à des dérapages, et il y en a eu à Montréal, à Victoriaville, au collège Lionel-Groulx, aussi à Québec. On a mis de la pression sur les étudiants, on a mis de la pression sur les policiers, on a mis de la pression sur les administrations collégiales, sur les administrations universitaires. On a mis de la pression sur les Québécois, dans leurs familles, qui devaient regarder ces images insoutenables pendant plusieurs soirs. Il commençait à y avoir des débordements et même des blessés. Les coûts commençaient à augmenter, les sessions commençaient à être en danger, les injonctions se multipliaient. Les policiers, les recteurs, les directeurs de cégep étaient exténués. Je me souviens d'une déclaration d'un recteur disant : La décision doit se prendre de l'autre bout de l'autoroute 20, à Québec, on attend toujours. Les professeurs exténués, les étudiants ne savaient plus à quoi s'en tenir. Au lieu de calmer le jeu, encore une fois de façon très irresponsable, le gouvernement libéral lançait de l'huile sur le feu, une loi spéciale a été adoptée pour casser le mouvement de protestation. Une loi inique, inapplicable, d'ailleurs. Une loi qui a été aussitôt critiquée par le Barreau du Québec, par tous les défenseurs des droits et libertés et même par l'ONU. Le gouvernement libéral faisait bloc, mais on sait que, même parmi ses rangs, il y en a qui se rendaient compte, Mme la Présidente, que quelque chose ne fonctionnait pas. Du haut de leur tour d'ivoire, quand même, certains voyaient. L'entrevue qu'a donnée Line Beauchamp dans Le Journal de Québec en fin de semaine est particulièrement éclairante. Je la cite. À propos de la loi n° 78, elle nous dit : «Il n'était pas envisageable pour moi de déposer une telle loi à l'Assemblée nationale — c'est la ministre de l'Éducation du temps qui parle — comme me le demandait le premier ministre, avec l'appui du caucus et des députés.» Ça vous montre à quel point le gouvernement libéral franchissait une frontière morale en venant limiter le droit des gens de manifester et en envoyant la police sur les campus. Je cite encore une fois Line Beauchamp : «Je m'opposais à la présence de policiers sur le parvis des cégeps et à l'intérieur des murs [de l'université] — nous dit la ministre de l'Éducation du temps. Ce sont des images que j'ai trouvées insupportables.» Mme Beauchamp n'est pas la seule à avoir trouvé ces images insupportables, tout le Québec se souvient de cette crise. Pourtant, au sein du gouvernement, du gouvernement libéral, ça ne bougeait pas. Je cite encore la ministre de l'Éducation du temps, Line Beauchamp, qui a pris toute la pression pour ce premier ministre du temps : «Personne ne voulait bouger — dit Mme Beauchamp. On me disait, "Faut pas reculer, Line, mais règle-nous ça." C'était insoluble — dit-elle — et totalement déchirant pour moi.» Vous savez très bien qu'elle a démissionné dans les heures suivant... précédant, en fait, l'adoption de cette loi. Mme Beauchamp voyait bien que la judiciarisation du conflit ne pouvait qu'empirer les choses. Sept universités, 18 cégeps se sont retrouvés avec des injonctions. Les recteurs, les directeurs généraux n'ont pas trouvé drôle de se faire prendre en otage par le gouvernement. Il ne faut pas avoir passé beaucoup de temps à l'université ou au cégep pour comprendre que les injonctions et la présence policière, ça ne crée pas un contexte très favorable aux études et àl'apprentissage. Et puis il y a eu encore les requêtes pour outrage au tribunal. À l'Université de Sherbrooke, la rectrice en a reçu une, au cégep de l'Outaouais, au cégep de Sherbrooke. On peut se considérer heureux, Mme la Présidente, qu'il y ait eu un changement de gouvernement, parce qu'on ne sait pas où tout cela nous aurait menés. Je demande aux Québécois de réfléchir, si le gouvernement libéral a choisi d'aller en élection sur la crise étudiante, qu'est-ce que ça aurait donné s'ils avaient continué dans cette logique infernale. En arrivant au pouvoir, notre gouvernement a fait en sorte que le calme revienne sur les campus. Nous avons annulé la hausse brutale et on a abrogé la loi n° 78. Tous les aspects liés à la limitation du droit de manifester, les attaques au droit d'accréditation des associations étudiantes, tout cela a été éliminé. Ça a été mon premier décret même pas 48 heures après avoir été nommé ministre. On a aussi pris connaissance des coûts de la crise. Là, c'est important parce qu'on sait que le gouvernement libéral a souvent dit que, hein, l'économie et eux ne faisaient qu'un. Bien, on s'aperçoit, plus le temps avance, qu'ils sont bien loin d'une logique économique qui se tient. Petit à petit, au fur et à mesure que les informations rentraient, nous avons pu évaluer l'importance du coût économique de cette crise. Il y a eu les coûts sociaux, on aura l'occasion d'en reparler. Les coûts économiques. Mme la Présidente, les universités ont dépensé environ 13 millions de dollars en salaires supplémentaires pour les chargés de cours. Pendant cette crise, les universités ont subi 12 millions de pertes pour des cours annulés. Les universités ont dû dépenser 4 millions pour la sécurité, pour réparer les bris, pour couvrir les dépenses administratives liées à cette crise. Au total, Mme la Présidente, 29 millions seulement pour les universités. Et là on n'est pas dans l'enseignement. Pour les cégeps, la grève a coûté un autre 30 millions de dollars en heures supplémentaires. Il y a eu ensuite les coûts des services de police. Et on a vu trop de ces images, je vous le rappelais tout à l'heure. Un coût en termes de stress pour les forces policières, d'épuisement professionnel, mais aussi un coût en termes monétaires. On évalue à 30 millions de dollars les coûts liés aux services de police pour gérer cette crise que le gouvernement ne voulait pas gérer : 20 millions à Montréal; 6,7 millions pour la Sûreté du Québec; 1 million à Québec; 800 000 $ à Longueuil; 700 000 $ à Gatineau; 400 000 $ à Sherbrooke. À ces montants, il faut ajouter un autre million de dollars en publicités que le gouvernement libéral a diffusées pour tenter de gagner l'opinion publique alors que les manifestations se multipliaient. Un million pour dire aux Québécois : On a fait erreur, mais croyez-nous quand même. Au total, la crise a donc coûté 90 millions. Ce n'est pas rien, ça, Mme la Présidente, 90 millions. C'est l'impôt des Québécois, ça, 90 millions qui nous seraient bien utiles aujourd'hui. Donnons une idée concrète à ceux qui nous écoutent, aux Québécois, de qu'est-ce que c'est, 90 millions. Ça équivaut presque à ce qu'a rapporté la hausse des droits de scolarité des cinq dernières années. Les cinq dernières années, le gouvernement avait mis fin au gel — le gouvernement libéral — et avait augmenté les droits de scolarité pendant cinq ans pour que cet argent soit versé aux universités. Alors, on me dit que c'est terminé pour l'instant... ...j'aurai l'occasion, sûrement, de revenir. Merci.